Parole de Soignant

Pierre

Infirmier de 32 ans. Diplômé depuis 2012

Expériences : Pierre a tout d’abord travaillé un an à l’hôpital public, dans les soins nécessaires à la rééducation, en médecine et EPAHD. Puis depuis mi-2013, il travaille dans un SSR (Soins de Suite et de Réadaptation) polyvalent privé à but non lucratif, alors spécialisé en orthopédie. La montée des problématiques liées au cancer cette dernière décennie, devenus difficilement gérables par l’hôpital public, impose en 2016, sur injonction de l’ARS (Agence Régionale de la Santé), que l’établissement se restructure en un centre d’accompagnement en soins palliatifs en cancérologie.

« Le tournant s’est plutôt bien passé. »

« Je suis depuis 9 ans dans cette structure et jusque récemment, tout allait pour le mieux.

En tant qu’infirmier, le salaire est vraiment correct par rapport à d’autres endroits. On y pratique des soins très polytechniques, ce qui permet d’entretenir ses acquis dans un champ diversifié, même après la sortie de l’école.

Ces dernières années, le manque de personnel a pourtant été le changement le plus problématique à mes yeux. Il est de plus en plus difficile de recruter pour remplacer les départs – en retraite ou pour d’autres raisons – pour compenser des congés ou des arrêts maladie… Le décalage se fait ressentir de plus en plus fortement car il y a, par ailleurs, une forte augmentation des demandes et donc du nombre de patients. Les dotations sont réduites d’année en année, malgré les effets d’annonces successifs. Sur le terrain, les moyens ne suivent pas ou trop peu et trop lentement.

Première vague

Mon établissement a eu « la chance » d’être déjà en protocole d’isolement au moment de la première vague covid, ce qui nous a laissé un petit sursis. En effet, courant janvier 2020, nous avions eu le cas d’une patiente qui avait contracté la grippe et contaminé d’autres résidents. Tous les espaces communs, ainsi que les activités collectives, étaient déjà réaménagés. Ce qui nous a permis de ne pas être frappés de plein fouet, comme d’autres structures similaires. 

Courant février 2020, nous recevions chaque semaine de nouvelles circulaires du ministère de la Santé. Même si, en tant que soignants, nous n’avions pas accès à la totalité de l’information, on percevait déjà une certaine préparation du terrain face à une catastrophe annoncée, tandis qu’au même moment, les communicants des médias mainstream répétaient que la France ne risquait rien et que tout était sous contrôle. Ainsi, j’ai constaté dès le départ combien l’information n’était pas transparente pour le grand public et qu’il existait un fort décalage entre les annonces politico-médiatiques et les réalités sur le terrain.

Cela a vrillé notre rapport à la véritable progression du virus. On se souvenait de l’expérience du virus H1N1, qui promettait d’être apocalyptique, et du peu d’impact effectif par la suite. Mais, d’un autre côté, nous avions des remontées d’autres établissements de la région qui disaient être violemment touchés.

Notre établissement a vraiment été impacté en mars 2020. Dans une certaine confusion. Car, à en écouter les spécialistes, tous les symptômes étaient liés au covid : une diarrhée, des maux de tête, des courbatures… Pendant deux semaines, nous avons vu de plus en plus de patients présenter de fortes fièvres, des toux grasses. Des montées en température à plus de 40° C pendant trois jours, sur des personnes de plus de 90 ans, parfois mises sous respirateur. A ce moment-là, pour faire face, nous n’avons aucun matériel. C’est le système D. La coordination administrative entre les différents centres n’est pas réactive, des cafouillages s’enchaînent. Ce n’est qu’à travers l’une de nos initiatives, grâce à des appels sur les réseaux sociaux, que nous avons pu mobiliser des industriels locaux qui nous ont finalement livré des masques, des gants… Toute la population a été solidaire, bien plus efficace et rapide que nos dirigeants. Un apiculteur nous a même fait livrer certaines de ses combinaisons intégrales.

Protocole médical

Depuis le départ, nous nous sommes appuyés sur nos propres protocoles médicaux, bien loin de la prescription gouvernementale générale du « Restez chez vous avec un doliprane ». Lorsque la guerre des traitements a éclaté – suite au protocole Raoult –, nous avons continué à traiter selon nos méthodes. Par un accompagnement au cas par cas, en connaissance des antécédents médicaux de nos patients, jusqu’à parfois prévenir de potentielles aggravations en plaçant certains patients sous oxygène avant désaturation. Si cela ne l’a pas systématiquement empêché, ce réflexe nous a permis, à coup sûr, de gagner du temps ensuite dans la rééducation respiratoire.

Au cours de cette période difficile et intense, sur plus d’une vingtaine de résidents atteint du covid, nous en avons perdu deux, chacun en phase terminal de cancer. J’entendais le soir les applaudissements qui nous étaient dédiés, et bien sûr, cela me faisait chaud au cœur, mais je pensais au fond de moi que nous ne faisions que notre travail. Et qu’il aurait pu être facilité si les multiples revendications du monde médical avaient été écoutées avant la vague épidémique. J’espérais que cet élan de soutien et la lumière braquée sur nos conditions d’exercice allaient provoquer de profonds changements. Mais cette crise a finalement masqué les problèmes de fond, en laissant penser que la saturation et la désorganisation de nos services n’étaient dues qu’à l’exceptionnelle gravité de la situation.

Hormis ce décalage entre le récit et le réel, j’ai été également horrifié par certaines des mesures sanitaires qui nous étaient imposées en milieu hospitalier. Ce que j’appelle les mesures de fin de vie. Elles ont bafoué tous nos fondamentaux. Basées sur une peur irrationnelle, ces politiques hygiénistes ont fini par mettre la rage à beaucoup de soignants.

Car l’interdiction des visites a provoqué chez certains patients une rupture de lien avec leurs familles qui a pu leur être fatale. On a vu des patients dépérir soudainement, jusqu’à se laisser mourir de solitude.

Pétrifiés eux-aussi par la peur et sans plus aucun contact avec leurs proches, certains ont cessé de s’alimenter, ne buvaient plus, devenaient incontinents. Ils perdaient leurs fonctions cognitives, ne parvenaient plus à se repérer dans l’espace… Autant on a étiqueté « covid » nombres de décès survenus pour d’autres raisons, autant ceux-là n’ont jamais reçu cette nomination, alors qu’il est bien évident que ce sont les mesures sanitaires censées lutter contre l’épidémie qui ont précipité le départ de ces patients.

Pendant une période, si vous décédiez « étiqueté covid« , votre famille ne pouvait plus vous voir. Ni à vos derniers instants, ni par la suite. Au départ, les corps étaient simplement mis dans des housses puis expédiés directement à la chambre funéraire pour incinération. Mais ensuite, ce sont les cercueils qui montaient directement aux étages. C’est arrivé deux fois chez nous. J’avais entendu l’annonce de ce nouveau protocole et pourtant, je me souviendrai toujours de ce jour-là… Je suis en train de faire mon tour. Un patient est décédé le matin même. Les agents funéraires arrivent en début d’après-midi. J’entends l’ascenseur s’ouvrir et je vois un cercueil en sortir et s’engager dans le couloir. Je suis pétrifié, je ne sais même plus vers quelle chambre je vais, mes yeux ne peuvent se détacher du cercueil qui traverse le service, entre dans la chambre d’un homme que j’ai accompagné dans sa fin de vie. Un homme que l’on a privé de visites durant ses dernières semaines, qui n’a pu trouver de réconfort dans l’expression des visages de ses proches, auquel sa famille n’aura pas pu dire adieu. Je suis devant l’ordinateur du couloir pour tracer mes soins et j’entends le son des vis qui scellent le couvercle du cercueil. Et là je me dis : on a franchi un cap. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Le lendemain, lorsque la famille peut enfin accéder à la chambre vide pour récupérer les affaires du défunt, elle est en pleurs, me remercie, me demande à moi, l’inconnu, de raconter les derniers moments de vie d’un homme aux côtés duquel elle a toujours été, sauf en ces tous derniers instants privilégiés qui viennent de leur être volés.

Lorsque cela se reproduit une seconde fois, mes collègues et moi sommes excédés. Nous montons à la direction taper du poing sur la table. Cela ne peut plus continuer : on laisse les patients mourir de solitude, sans plus aucune dignité. Notre accompagnement est déshumanisé. On enlève aux familles la possibilité d’accomplir leur deuil, les traumatisant durablement. Alors, une fois encore, on nous a laissé contourner les directives en trouvant les interstices qui permettaient de remettre du lien. En plaçant les médecins dans la boucle, nous avons fait délivrer des dérogations médicales pour des visites. C’était au moins aussi délirant administrativement que de se signer soi-même une autorisation de sortie pour une heure…

L’arrivée du vaccin

C’est dans ce contexte de défiance en interne que fut annoncée l’arrivée d’un vaccin. Avec dans la foulée la priorité réservée aux soignants. Au fil des premiers mois de l’année 2021, on a commencé à entendre s’élever cette petite musique autour de soignants récalcitrants, présupposés favoriser la transmission du virus au sein des établissements hospitaliers, et autour de nos pratiques, apparaissant soudain comme problématiques… Alors que, pendant un an, nous avions fait face, seuls, et construit à partir de nos expériences de terrain l’essentiel de nos protocoles de soin ! Le plus violent pour nous ensuite fut de voir que le matraquage médiatique produisait rapidement ses effets sur les patients et plus encore sur leurs familles. Les rapports sont devenus beaucoup moins chaleureux, parfois méfiants.

Au sein des professions médicales, bien sûr, on attendait énormément de l’arrivée d’un vaccin. Mais la rapidité de sa mise sur le marché en a inquiété plus d’un. Tout comme le fait de vacciner en priorité et sans aucun recul les populations les plus à risque. Mais, sans doute parce que la profession avait été essorée par cette première année de crise, tout le monde finit par évacuer le doute rationnel en s’en remettant à une certaine forme de croyance. Alors que le vaccin contre la grippe, qui existe depuis un siècle, est efficace dans ses meilleures années à environ 70%, on crédita ce vaccin découvert en 6 mois d’une efficacité allant de 95% à 98%. En juillet 2021, fut créée la menace d’une nouvelle vague à la rentrée pour justifier l’instauration par le gouvernement d’un passe sanitaire et de l’obligation vaccinale pour les soignants. Des modèles extérieurs de réussite furent agités, comme la vaccination en Israël, pour justifier certaines directions. Il fut alors asséné que le vaccin empêchait de contracter le virus mais aussi de le transmettre, et qu’il était la seule garantie pour les Français d’un retour à une vie normale…

Ce qui permis même à Olivier Véran, ministre de la Santé, d’affirmer, au summum du cynisme, que « le vaccin était 100% efficace contre le confinement ».

Avec ma compagne, également soignante, nous nous sommes mariés en mai 2021. Nous abordions cette année-là comme celle de profonds changements : pouvoir concrétiser notre désir d’enfant, acheter une maison…

Le discours du 12 juillet est venu tout percuter.

Soudainement, on se retrouve des nuits entières à suivre les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, en espérant qu’un sursaut républicain fasse cesser le cauchemar. Mais la loi est votée début août et l’obligation effective mi-septembre. Au milieu de toute la radicalisation idéologique des circuits administratifs durant l’été 2021, nous sommes pourtant parvenus avec mon épouse à trouver une oreille compatissante, qui nous a permis de poser tous nos congés payés et nos heures supplémentaires dans la foulée du 15 septembre, nous préservant un salaire jusqu’en novembre.

C’est pendant cette période que ma femme est tombée enceinte. En relançant les démarches pour l’achat d’une maison, nous découvrons qu’il existe déjà, du moins en ce qui concerne la catégorie des soignants, des interactions entre leur statut médical et les conditions habituellement prises en compte par les banques pour un prêt immobilier. Car, à cette période, indiquer une suspension, pour un soignant, revenait à révéler un refus de vaccination. Une première étape vers un crédit social à la chinoise. J’ai entendu d’autres témoignages de soignants, dans le collectif citoyen local auquel j’appartiens, qui ont dû se battre pour obtenir le RSA, après avoir entendu que leurs droits n’étaient pas acquis, puisqu’ils avaient eux-mêmes « fait le choix de la précarité ». Le flou administratif dans lequel cette suspension nous a placés a permis que chaque occasion laisse libre court (en interne ou face à des administrations extérieures) à une interprétation personnelle, pour ne pas dire un jugement, qui faisait ressortir le pire ou le meilleur de chaque individu. Car autant on peut blâmer la fonction administrative en général, autant chacun peut témoigner avoir un jour rencontré une personne plus à l’écoute, prenant en compte les spécificités de son dossier afin de le faire avancer et sortir de la zone de non-droit où la suspension l’avait (dé)classé.

La complexité de notre situation, surtout dans la perspective d’un bras de fer parti pour durer, a suscité une plus grande inquiétude avec la venue de notre enfant. Nous avions la possibilité de tenir encore quelques mois, mais cela revenait à dilapider notre apport. Cette situation a donné lieu à de grandes discussions, à des disputes aussi, bien sûr. Sentant l’étau se resserrer sur nous, pour ma femme, pour l’enfant, j’ai dû me résoudre à commencer un schéma vaccinal. J’ai même fait écourter le délai entre les doses afin de retrouver au plus vite mon emploi et un salaire.

Retour contraint

J’ai informé mon employeur que je serais opérationnel le 4 janvier 2022. Le centre était frappé de plein fouet par la vague omicron. Il y avait un tel manque de personnel – entre les contaminations, les burn-out, les vacances repoussées qui allaient finalement débuter – que mes supérieurs ont même eu le culot de m’appeler quatre jours avant ma reprise pour que je revienne faire immédiatement trois jours d’affilé. J’ai refusé. Je les ai renvoyés au timing, changeant chaque semaine alors, du protocole en vigueur.

Le jour où je suis revenu, cinq collègues supplémentaires étaient mis en arrêt. Ce qui a grandement facilité ma réintégration. Je redoutais de me retrouver face à certains collègues, qui en voulaient aux non-vaccinés, considérant que nous les avions abandonnés en pleine tempête. Car, bien sûr, nous n’avions pas été remplacés pendant ces cinq mois ou très tardivement en ce qui concerne mon épouse. Cela a permis à l’établissement, qui ne nous versait par ailleurs aucune indemnité, de pratiquer de sacrées économies. Mais ce sont bien mes collègues qui en ont payé le prix fort, sur le terrain, avec une surcharge de travail et sans aucune perspective de répit.

Non seulement mon retour permettait un renfort plus que bienvenu, mais la réalité quotidienne commençait à nous donner raison. Tous mes collègues en arrêt, infectés par le virus, avaient bien reçu leurs trois doses et cela n’avait rien empêché. Je me suis efforcé de toujours garder mon calme, sans jamais souligner l’ironie de la situation. J’étais revenu accomplir ma tâche et la situation exigeait beaucoup d’investissement et de professionnalisme. Je pense, par ailleurs, que mes collègues, témoins que les évènements récents commençaient à valider un raisonnement autrefois mis en minorité, ont noté mon fairplay. Progressivement, nos relations ont réussi à se réchauffer. Il était de plus en plus évident que mon épouse et moi avions été privés de tout pour rien ; que durant cette période, mes collègues avaient contracté les variants successifs et observé parfois des formes graves chez des patients atteints de fortes morbidités trois fois vaccinés…

Quand, face au dogmatisme de nos institutions, nous avions, certains avaient ressentis de la colère à la fin de l’été dernier, je voyais les autres, au cœur de l’hiver, commencer à basculer dans le doute et ressentir de la part leur direction une forme de trahison.

Bien sûr, je ressens parfois un désir de revanche. Mais je ne me laisse pas submerger, car cela ne ferait que verser à nouveau de l’huile sur le feu, sans que personnellement cela ne m’apporte quoi que ce soit. C’est avec les collègues, il me semble, que nous avons un coup à jouer, afin de retrouver notre dignité et de nous réapproprier certaines décisions en jouant à nouveau collectif. Je m’en suis vite rendu compte face à ma hiérarchie. Comme j’étais revenu au plus fort d’une vague qui provoquait l’absence d’un grand nombre de mes collègues, on m’a tout de suite redemandé d’être flexible et corvéable selon les besoins que créait leur gestion quotidienne de la situation. J’avais été ostracisé, montré du doigt, j’avais vécu sans salaire, j’avais dû me résoudre à la vaccination après avoir subi la malveillance et la culpabilisation, il était hors de question à présent que je les laisse disposer de moi comme avant. Je n’avais plus à accepter ce que l’on me demandait en dehors du cadre légal de mon embauche.

Et, en l’état, je ne consentirai plus aucune faveur à ma hiérarchie.

Mais, chaque fois qu’une demande supplémentaire m’était adressée à la dernière minute, en raison de mon refus, je subissais de nouveau les foudres de la culpabilisation : « Tes collègues, eux, ont toujours été là. Ils se sont donnés, alors que toi… Nous avons fait au mieux en te remplaçant… » Il n’y avait plus aucune limite au mensonge pour nous amener à culpabiliser. On me renvoyait que j’apportais de la négativité à l’équipe, que je ne faisais aucun effort, ce qui provoquait chez les autres un certain relâchement dans leur mobilisation. Pourtant, l’épuisement était manifeste. Comme chez ces femmes presque à l’âge de partir en retraite qui, par humanité, venaient et revenaient au-delà de leur force, comme jamais on ne le leur avait demandé auparavant. Elles ne se rendent même plus compte de leur dépassement. Il est vrai que, pour ma part, ces cinq mois m’ont aussi permis de prendre de la distance, de me recentrer, et par chance de rencontrer des personnes différentes, formidables ;

Cela m’a donné confiance en moi et m’a permis de dépasser la culpabilité que j’avais intériorisée, comme si ma vocation exigeait un dévouement sacrificiel permanent.

Après autant de malveillance de la part de l’administration en générale, je pensais dorénavant à moi et ma famille qui allait s’agrandir. Un préjudice m’avait été fait. Et la désorganisation actuelle ne pouvait pas constituer une excuse.

Après m’avoir désigné comme été bouc émissaire de tous leurs maux en tant que non-vacciné, ils tentaient de faire de moi une brebis galeuse, qui manquerait de solidarité en refusant de faire sa part, gracieusement et sans broncher, dans cette surcharge de travail quasi-permanente.

Ils allèrent même, un jour, jusqu’à sous-entendre que je n’avais pas le bon état d’esprit pour un futur père. Ce fut la remarque de trop, face à laquelle je finis par m’emporter, ce qui me valut une convocation devant l’échelon supérieur de ma direction. J’y ai subit une sorte de rappel à l’ordre contre lequel je me suis défendu, expliquant que je ne tolérais pas que des allusions à ma vie privée soient faites pour tenter d’infléchir mon comportement. Le ton a changé. La discussion s’est recentrée sur les urgences professionnelles. J’ai alors eu le sentiment de disposer pour la première fois d’une fenêtre de tir pour une négociation salariale. Je leur ai annoncé qu’à chaque demande d’heures sup de leur part, j’exigerai dorénavant une majoration dans le cas d’un remplacement ou, a minima, une prime pour tout changement de planning de dernière minute. Telles étaient mes nouvelles conditions, à eux de voir. J’étais sûr d’y trouver mon compte : s’ils refusaient, ils cesseraient leurs demandes incessantes. S’ils acceptaient, tout nouvel effort de ma part ne relèverait plus du sacrifice mais se traduirait par un avantage financier. Sur un ton dubitatif, on me répondit que ma demande serait transmise aux échelons supérieurs et nous en sommes restés là.

D’autant que le lendemain, j’étais à mon tour testé positif à omicron.

Une semaine d’arrêt maladie. Les trois premiers jours, j’ai quelques symptômes, ma température monte jusqu’à plus de 38°. Puis mon état s’améliore, ne reste qu’une grosse fatigue. Deux jours avant la fin de mon arrêt, à 17h30, je reçois un appel de ma direction. Après s’être informée de mon état de santé, elle me fait part de la situation en interne : deux membres de l’équipe de nuit viennent d’être touchés à leur tour. On me demande alors si je peux casser mon arrêt maladie et relever l’un de ces postes. Nous sommes à trois heures de la prise de service. Sans fermer la porte, je leur demande où ils en sont sur les conditions que j’avais posées au cours de notre dernier entretien spécifiquement pour ce genre de configuration. On me prie de préciser les montants : je demande 50% de majoration, ainsi qu’une prime de 50 €. La personne au bout du fil me dit qu’elle va voir et qu’elle me rappellera. Un quart d’heure plus tard, je reçois un sms de confirmation. J’ai repris mon service deux jours plus tôt, de nuit, à la grande surprise de mes collègues.

Je ne m’étais jamais caché de rien. Au contraire. Mes supérieurs avaient tenté de me faire passer pour quelqu’un qui répandait de la négativité, n’en glandait plus une… J’avais de mon côté expliqué à mes collègues le sens de tous mes changements de comportement.

Sans trop faire cas du préjudice passé, j’avais tout de même signifié qu’il n’était plus question pour moi de me donner corps et âme pour une équipe coachée par un système qui avait failli, qui ne se remettait pas en cause et qui ne cherchait plus à nous protéger.

Et que ne rechignant pas à la tâche durant mes heures de service, je ne ferai plus aucun effort supplémentaire de manière gratuite. Personne n’y avait vraiment cru – moi le premier – mais tout le monde a pu constater que c’était possible.

J’ai ouvert une brèche. Et certains s’y sont engouffrés. Face à deux nouveaux départs en congé maternité non remplacés, des collègues ont écrit une lettre collective disant qu’ils n’accepteraient plus de réaménagements de dernière minute sans compensations financières.

J’ai senti revenir une certaine camaraderie chez des collègues qui m’avaient accueilli avec froideur quelques semaines plus tôt. Ils pensent peut-être encore que c’est à cause de moi qu’ils n’ont pas eu de congés et qu’ils ont été débordés de travail durant mes cinq mois de suspension.

Mais au regard de ce que j’ai obtenu, ils parviennent à reprendre confiance en eux et commencent à exprimer leurs revendications. C’est un sacré retournement de situation qui fait de mon retour de paria un exemple possible à suivre. »

A Christèle, Virginie, Magali, Karine… et toutes celles et ceux qui n’ont jamais cédé.

L’Histoire est loin d’être terminée

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